Entrez spectateurs et curieux à l’intérieur  de ce somptueux édifice : l’opéra National de Bordeaux et levez les yeux. Elles sont toutes là, incrustées sur les parois, les voûtes, rassemblées en constellations et semblent vous saluer… Des myriades d’étoiles, filantes, d’ici, d’ailleurs !

Si elles pouvaient parler, que diraient-elles ?

Charles JUDE, Etoile lui-même en est leur porte paroles. Danseur, chorégraphe, directeur du Ballet de l’Opéra National de Bordeaux, la flamme dans le regard, il les fait revivre, au fil de son itinéraire, jalonné de rencontres des plus grandes célébrités. Il vous fait voyager vers un monde, où l’éphémère et l’infini se conjuguent : le rêve. Très zen, en raison sans doute de ses origines asiatiques, il s’exprime avec une grande douceur.

 «  Ca n’a pas été facile pour moi dans mes débuts. Mon père, magistrat à Nice, voulait que ses enfants (j’étais le 3ième d’une fratrie de sept enfants) aient une approche artistique ; il en avait rêvé lui-même. J’avais 16 ans. Il m’a inscrit de force au conservatoire de Nice ; je n’aimais pas ça du tout ! Je faisais du sport,  de la natation. C’est mon professeur Alexandre Kalioujny, champion de saut en hauteur puis danseur Etoile à l’Opéra de Paris qui m’a emmené au stade, il m’a fait courir, sauter et il m’a dit: voilà la danse, ça ressemble à ça mais en plus avec les jambes tendues, toutes tendues ! Ca m’a encouragé. J’ai commencé à 16 ans avec des filles qui avaient la moitié de mon âge, je ne le racontais pas aux copains  J’avais la honte !

La danse, c’est l’ouverture mais j’ai compris que c’est un challenge, une compétition incessante, c’est ce qui m’a séduit.

Danseur Etoile à l’Opéra de Paris

En 1969, j’ai rencontré Noureev. Il avait une maison proche de mes parents. Il s’entraînait avec mon prof. Je l’ai vu danser à Nice avec le Royal Ballet et ce soir là j’ai eu le « déclic » ! Je suis monté à Paris passer une audition à l’opéra et j’ai été pris. C’est là que j’ai commencé à aimer cette discipline car j’étais confronté à beaucoup de danseurs masculins.

Puis, j’ai continué à travailler avec Alexandre Kalioujny qui a été nommé professeur des Etoiles à Paris, un véritable créateur qui mettait en évidence les difficultés techniques en situation. Il fallait que chaque figure soit réalisée avec perfection, connaître tous les enchaînements ; ce qui demande une grande concentration. »

Rudolf Noureev repère en ce danseur des qualités hors du commun. Il lui demande de les perfectionner sa technique et le fait travailler dans Noureev and Friends C’est le début d’une grande complicité avec le danseur qui a continué à l’inviter à tous les galas dans le monde.

« La danse est un art qui exige des performances, une grande discipline : il faut assister au cours tous les jours, les figures doivent être exécutées dans l’instant et le rôle appris très vite.

J’étais un élève humble qui faisait ce que lui demandait le professeur. 

La création d’un ballet est un challenge, l’art de se dépasser. Sans cesse, il est indispensable de traduire une ambiance avec de nouveaux décors pour que la magie s’opère. Dans Don Quichotte, j’ai fait réaliser un décor rappelant l’œuvre de Dali qui a reproduit la partie blanche du rêve. Il faut faire travailler les interprètes pour transmettre le message aux spectateurs de manière à ce qu’ils comprennent l’histoire.» L’auditoire doit assister sur la scène à un véritable feu d’artifices. Les étoiles se subliment !

Le chorégraphe est un passionné ; il ressent lui-même les mouvements s’il veut les montrer aux autres et transmet aux jeunes danseurs l’héritage reçu des grands maîtres.

La valse des Etoiles.

Elles défilent, les unes après les autres : «  Lifar m’a appris le rôle d’Albrecht dans Gisèle, un des plus grands rôle du répertoire romantique. Cyril Atanassof est venu à Bordeaux faire partager son expérience et mettre en évidence Lifar interprète dans l’après midi d’un faune ». Les rencontres du danseur Etoile, nommé en 1977 et d’autres célébrités, Balanchine, Maurice Béjart, Carolyn Carlson, Jiri Kylian, Robbins et bien d’autres, lui ont permis d’établir des liens d’amitié, de complicité.

Charles Jude danse sur toutes les scènes du monde jusqu’en 1998. En 1996, il prend la direction du Ballet de l’Opéra de Bordeaux.

Une nouvelle aventure commence ! « Ma première préoccupation a été d’allier à la fois  le répertoire passé : classicisme et néo classicisme et l’ouverture vers la création contemporaine, un véritable défi. J’ai souhaité prendre exemple sur Rudolf Noureev qui m’a fait rencontrer de grands noms de la danse et j’ai pu commander de nouveaux ballets pour l’Opéra de Bordeaux. »

Il recrute des danseurs dans le monde entier. Le premier critère concerne sa morphologie, puis dit-il, «  je regarde dans ses yeux, s’il y a des étoiles. C’est à travers que je traduis son enthousiasme véritable, sa créativité ; le corps n’est que l’interprète du moi profond. Aujourd’hui, la compagnie se compose de 38 artistes permanents, des japonais, des russes, des italiens… Ils parlent anglais et doivent apprendre le français, ils sont très curieux et ont une grande ouverture d’esprit. Leur contrat dure deux ans, ils sont en CDI au bout de six ans. Ils sont âgés de 22 ans environ. C’est un métier de jeune ; à 42 ans, ils partent à la retraite et je déplore aujourd’hui que les institutions n’aient pas prévu pour ces danseurs les mêmes avantages dont bénéficient ceux de l’Opéra de Paris.

Directeur, danseur… et créateur

Le Ballet de Bordeaux est une des principales compagnies françaises grâce au soutien d’Alain Juppé, le maire  de la ville et Thierry Fouquet, le directeur du Grand Théâtre, et du ministère de la Culture. «  Produire des œuvres telles que le lac des cygnes ou la belle au bois dormant demande des moyens considérables. Donc, il faut travailler avec un décorateur, aller plus loin dans le rêve avec la vidéo. La difficulté dans ce métier, c’est d’intéresser les danseurs aux nouvelles technologies, un langage qui permet d’élargir l’horizon scénographique. Je continue à monter des œuvres chorégraphiques en dehors des grands classiques.

Je me sens bien à Bordeaux, au début, je ne pensais pas y rester, mais aujourd’hui, je peux affirmer que je suis devenu à 90% bordelais, les 10% sont au ailleurs, au Vietnam, en Afrique noire, au Laos. J’ai vécu une enfance nomade, au gré des mutations de mon père, magistrat qui avait fait ses études à Bordeaux. C’est une chance de travailler dans un lieu historique : le Grand Théâtre. Depuis dix ans, la compagnie est reconnue sur le plan national et international.

Je souhaiterai faire passer des commandes à des grands chorégraphes actuels :

Kylian, Forsythe, John Neumeier, Carolyn Carlson qui est un personnage hors du commun ; elle transmet dans ses ballets un message : le thème de l’eau y a été abordé. Mais, je suis un passeur avant tout, je veux montrer des œuvres qui constituent notre identité et je connais les angoisses de mes danseurs. Je me dois de leur donner confiance avant d’entrer en scène. J’essaie avant tout de leur apporter l’héritage de mes maîtres.

Aussi, lorsque j’ai monté le ballet Coppélia, j’ai suivi la démarche de Noureev qui aimait le cinéma tout en respectant le thème d’origine. J’ai transposé l’histoire dans les années cinquante, avec une Coppélia devenue Marilyn Monroe. Je voulais retrouver l’ambiance des comédies musicales de cette époque, chère à Noureev qui disait : « il faut utiliser toute la magie du plateau. » J’ai toujours été fasciné par cet art et ai fait appel à un illusionniste Gérard Majax pour surprendre le public, dans l’imaginaire.

En ce qui concerne Roméo et Juliette, j’ai  préservé le contexte historique de la renaissance italienne mais à chaque personnage sera associé un style différent. Un des rôles qui me plait le plus est celui de Tybalt , c’est un personnage dur, rigide s’exclame Charles Jude,des étoiles dans le regard. Lorsque j’en avais parlé avec Rudolf, il m’adit « vous êtes Roméo, vous serez Tybalt dans quelques années. »

Ici et ailleurs

Le ballet de Bordeaux s’ouvre au monde extérieur. Charles Jude invite des grands danseurs du monde entier. Mais ceux là ont d’autres contrats à honorer et il faut en tenir compte. Pour Bordeaux, leur venue est très bénéfique.

Il s’est produit , en tant que danseur Etoile invité, au Royal Ballet de Londres, au Ballet de l’Opéra de Vienne, au Ballet  du Théâtre de la Scala, au Ballet Royal Danois, sur les scènes des opéras de Rome, Naples, Berlin, New-York, Stockholm… Il a réalisé parmi les plus célèbres la chorégraphie du Ballet pour l’opéra Faust de Charles Gounod, a créé la mise en scène de l’œuvre littéraire mondiale: Roméo et Juliette, présenté du 27 mars au 6 avril 2009 et récemment, les chorégraphies Quatre Tendances qui a obtenu un succès fulgurant avec 4 univers contemporains, 1 création mondiale, 2 créations à Bordeaux, 30 danseurs. Cette création rend hommage à 4 chorégraphes  de notre époque. Un véritable festival de l’extrême, dans la technique, l’endurance et l’esthétique. Chacun y a apporté son originalité, sa poésie.

Il développe ses tournées au Japon, aux Etats-Unis, en Espagne, Italie, Kiev, Lausanne ,participe aux hommages rendus à Noureev ,a été invité au festival d’Édimbourg, en 2003, au festival de Budapest en mars 2004 , au festival international de Danse de Cuba, à Saint Pétersbourg … etc.

Et de nombreuses récompenses. Prix Serge Lifar obtenu par le Ballet de l’Opéra National de Bordeaux, le prix Herald Angels, lors du festival d’Édimbourg. La compagnie a interprété des œuvres fabuleuses, le Sacre du Printemps en l’honneur du centenaire des Ballets Russes en octobre 2009, le lac des Cygnes en décembre 2009.

Son talent lui a valu des titres honorifiques : prix Nijinski (1976), le prix Lifar (1988) Chevalier des Arts et des Lettres (1990) Chevalier de la Légion d’honneur (1996) Officier des Arts et des Lettres (2001). Un palmarès qui s’étend hors des frontières mais qui n’a pas changé l’attitude du chorégraphe, resté simple et serein dans l’âme. Il fait preuve d’une grande ouverture d’esprit et d’initiative et s’exprime avec un calme imperturbable.

L’avenir de la compagnie

« L’Orchestre National de Bordeaux Aquitaine va déménager dans un nouvel auditorium ; le ballet aura à disposition la salle Franklin, transformée en studio de danse. Nous aurons de la place pour inviter des chorégraphes simultanément qui auront chacun un lieu propre car jusqu’à présent, nous n’avions qu’une seule salle de répétition.

J’aimerai fêter le centenaire du Sacre du printemps et inviter des compagnies étrangères de renommée. »

Malgré son activité professionnelle absorbante, Charles Jude parvient à concilier une vie familiale bien remplie et des loisirs variés. Père de deux grandes filles, Caroline et Johanna qui ont choisi un parcours artistique autre que la danse, il habite à proximité du grand Théâtre avec sa future épouse, Vanessa Feuillate, soliste de l’Opéra de Bordeaux, mère de la petite Lonia(16 mois). Avec un large sourire, il déclare : «  je suis un papa gâté. »

Ses hobbies : « j’adore faire la cuisine, voir des expositions de peinture, des musés, j’aime les vacances au soleil, la mer, la pêche, les vins de Bordeaux . »

Grâce à son sens de l’humanitaire, il devient parrain de l’Association de la Ligue contre le cancer : il a organisé une soirée exceptionnelle le 4 novembre 2010 à l’Opéra et le 15/01/2014 le cirque Gruss produira un spectacle dont les recettes iront à l’association.

Grand voyageur depuis son enfance avec des moments très marquants : obligé de rester cloîtré à 13 ans dans une pièce pendant la guerre au Laos, Charles Jude continue son périple, les jambes tendues, avec une grâce féline qui lui est propre et la tête tournée vers les Etoiles .

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