Dans les trains, dans les gares, on connaît l’impossible car on ne sait jamais vers quel destin nous conduira le train qui part…

Gare Saint-Jean             

On court toujours après un train car on a peur de le rater !

Bordeaux. Fin janvier 1981,  Lisa se hâte de traverser le sous-sol, monter les escalators et trouver le quai n° 3 où les wagons stationnent, étalés comme une immense chenille. Sac à dos, sac à main et une valise presque vide avec tee-shirts, maillots, entassés pêle-mêle, Lisa se sent légère quand elle s’engouffre dans la voiture n° 15  près de la fenêtre. Ouf ! Le train démarre, comme un éclair, il fend l’air ; les paysages se succèdent, flous, à une telle vitesse qu’elle ne peut fixer les images. Mais à travers ce flot continu, elle revoit les jours précédents : la Honda rouge au feu rouge, puis le camion qui cale brusquement devant elle et la voiture qui s’encastre dessous, puis plus rien, comme un tunnel noir d’où émerge un point lumineux… Le réveil à l’hôpital, le trou, l’accident. Et le lendemain, des visages penchés sur le lit, « mais, que t’est-il arrivée » ? Question absurde, quand on ne se souvient plus de rien.

Quelques jours après, sur les lieux de l’accident, place de la Victoire, sa mémoire se déclenche à la vue du garagiste qui a récupéré l’épave de son cher véhicule. C’est d’ailleurs avec la vente du véhicule en état que Lisa doit financer le vol Paris-Nouméa où son mari et sa nouvelle vie l’attendent. Mais le hasard, parfois malin, peut faire aussi son chemin. Le garagiste, lui déclare :

–  « je pars à Nouméa, en Nouvelle Calédonie, monter une station-service ».

Par la suite, ce lieu actuel de rencontre prendra une importance considérable. Le drame évité, des visions d’îles, d’inconnus, d’océans, illuminent ses pensées. Elle a vingt ans, c’est un nouveau départ !

Gare Montparnasse 1

Paris février 1981. Il fait un froid de canard. La gare est une véritable fourmilière : cohue, entassement de bagages de toutes sortes, vigiles armés avec chiens de garde. Les gens se bousculent, les yeux fixés sur le panneau lumineux : quelle est la voie du prochain train ? Ce lieu contribue à accroître sa sensation d’oppression : elle se retrouve dans le fameux tunnel, comme au moment  de l’accident. Vite de l’air libre ! Il faut s’échapper de cette gare à tout prix. Ce train serait-t-il le dernier ? Elle happe la navette qui la conduit à l’aéroport Charles- de-Gaulle.

Embarquement immédiat ! Après 36 heures de vol, son mari est venu, heureux, récupérer sa moitié, saine et sauve. Une douce chaleur, la couleur rouge des flamboyants, la peau dorée des Canaques, effacent son dernier cauchemar. Son habitation, un vaste studio domine l’Anse Vata, la baie de l’immense Océan pacifique : baignade, farniente, insouciance. Lisa se laisse griser…Elle passe, la plupart du temps, ses soirées en solitaire car son mari ingénieur à la société Doniambo, dirige un chantier en brousse et elle ne peut l’accompagner. Quel ennui !

Sa voisine, une Canaque mariée à un Européen, blessé pendant la guerre d’Indochine, compatit et l’invite, sans que son mari soit au courant, pendant quelques jours dans sa case située à l’extrémité de l’île, sur la côte ouest. La petite maisonnette est  bien aménagée,  au ras de l’océan et Lisa connaît l’expérience d’une vie de sauvageonne : pêche le matin près du lagon, poisson grillé à midi, cuisson de tarots, ignames, patates douces ; toutes ces nouvelles saveurs font partie du quotidien où l’instant se vénère. Les journées passent à une folle allure.

Mais un jour, un télégramme annonce : «  père malade, rentre vite » ! C’est sa mère qui l’appelle au secours. Déçue de quitter ces lieux paradisiaques, Lisa se résout à rejoindre Nouméa. Son mari ne veut pas qu’elle quitte le pays. Elle revoit le fameux garagiste, son sauveur…  Celui-ci lui prête des voitures américaines, immenses, difficiles à garer sur les trottoirs  mais elles lui permettent de se déplacer et de trouver des petits boulots pour gagner son voyage de retour, en cachette : mise en rayon dans un supermarché, réceptionniste dans un hôtel, vente de dictionnaires. Elle décide de fuir en catimini, et à contrecœur cette île merveilleuse. Mais qui va pouvoir l’aider dans la réalisation de ce projet aventureux ? Ce n’est pas chose facile, quand l’époux, dépité est à ses trousses et qu’il  lance un avis de recherche.  Il faut être prudente et se camoufler. Un jour, en errant dans les rues de la ville, une voix l’interpelle : « Salut ! Mais que fais-tu ici ? C’est Dominique, un camarade de classe de quatrième du collège de Fribourg en Allemagne où elle vécut huit ans, son père, militaire, ayant été muté. Quelle surprise et joie de retrouver un ami au moment où elle se sent si seule ! Il est devenu scaphandrier, engagé par le professeur Catala, pour aller récupérer des coraux, les exposer dans le plus bel aquarium de l’île. Il a donc réalisé son rêve de jeunesse. Il ne la quittera pas jusqu’à la fin du séjour, et l’aidera à s’évader. Par la suite, il lui présente un ami, Daniel, qui a quitté toute sa famille pour réaliser un rêve de jeunesse. Il est ferrailleur et avec un camion fait le transport de toutes sortes de matériaux, d’un point à l’autre de l’île.

Quels moments savoureux et insouciants avec ses deux nouveaux amis ! Grâce à leur aide, elle devient passagère clandestine, dans leur véhicule qui la conduira vers l’aéroport de Nouméa. Le trajet s’effectue à l’envers !

Gare Montparnasse 2

Aéroport de Paris Charles-de-Gaulle. Janvier 1983. C’est une matinée glaciale. La veille, elle a cueilli les plus beaux coraux, à la plage de Château-Royal et les a enveloppés à la hâte dans ses vêtements. Sa valise pèse un âne mort mais elle ne veut pas se séparer des ses derniers souvenirs. La navette qui l’amène vers la gare Montparnasse est bondée ; elle se sent si étrangère à ce monde « civilisé » des visages pâles, grelottant dans sa jupe fendue. Déboussolée, elle se croit sur une autre planète. Que font ses amis les Canaques ? Ils doivent encore faire la fête ; là-bas, c’est le soir. Ici, le jour se lève. Les bruits des klaxons, les odeurs de gas-oil, les visages blêmes, stressés, quel monde étrange ! Après quoi courent-ils tous ? Où est le lagon ? L’a-t-elle rêvé ?

Sur le chemin de la gare, brusquement, une veille 2CV déglinguée, stoppe devant elle. Le conducteur, étrangement attifé, l’interpelle : « De quelle planète venez-vous ? »

Frigorifiée, elle s’installe dans la voiture brinquebalante. Le conducteur, au look débraillé, lui déclare en riant : « vous transportez un cadavre ? » En effet, les senteurs des coraux vivants s’échappent de la valise et une odeur nauséabonde envahit l’atmosphère. C’est un journaliste de FR3 qui vient d’être licencié. Son curieux conducteur lui présente une carte de visite avec ses coordonnées et la dépose dans le train Montparnasse-Bordeaux. La gare a conservé le même aspect, grouillante avec les mêmes vigiles, le va-et-vient continuel des voyageurs. Lisa a l’impression d’être enfermée dans une cage. Plus que jamais, elle rêve de retrouver sa paillote au bord de l’eau et sa vie de sauvageonne mais le train du retour est là, elle ne peut faire marche arrière.

La valise semble intriguer de nombreux voyageurs, leur regard en dit long ! Que fait cette étrangère, légère et court-vêtue, par un mois de janvier aussi rude ? Pour se réconforter, elle essaie de lire sur ces visages inconnus un regard de sympathie, un signe de compassion mais, non, rien, c’est le désert.

Le voyage en train paraît durer une éternité.

Adieu coquillages, crustacés, lagons, sable blanc et ses amis les Canaques… Leurs chants, leurs danses, lors des veillées dans la brousse, lui manquent déjà.

Après une absence de trois ans sur le continent, peut-on s’adapter à la monotonie du quotidien ? Mais la santé de son père est primordiale, il lui tarde de le revoir en voie de guérison.

Elle retrouve un train-train qu’elle ne quittera pas : les études, un poste dans l’enseignement. Rêve ou fiction ? Lisa a du mal à s’adapter à la vie réelle…

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